par Philippe Lamy
Indirectement, c’est grâce au Rotary Club International que je connus Monsieur Ismaël, éminent guérisseur africain. Dans les années 1993-96, je fréquentais en effet régulièrement le Rotary Club de Paris Dauphine. Chaque jeudi nous y accueillions des personnalités du monde entier, de passage à Paris.
Le Rotary Club de Paris Dauphine est un club hors norme, au rayonnement exceptionnel, qui attire beaucoup de monde. Il comptait à l’époque plus de trois cents membres inscrits, parmi les plus prestigieux : hommes de lettres de renom, scientifiques de haut vol (chercheurs, professeurs de médecine), présidents de grandes entreprises, avocats en vue, artistes de renom, politiciens etc. Or, si ces derniers n’étaient pas toujours d’un abord facile, les étrangers de passage étaient le plus souvent d’une grande disponibilité d’esprit. L’isolement où les plaçait notre langue (le plus souvent mal maîtrisée) et l’absence de toute vie sociale, causée par un récent « parachutage », en faisait de charmants convives. Je recherchais ainsi volontiers leur compagnie. Moi qui voyageais peu, je goûtais ainsi les joies d’un certain dépaysement, à peu de frais.
Parmi ces rencontres sans lendemain, mes brefs échanges, avec le Dr Levy, ont compté parmi les plus décisifs. Puisque, grâce à lui, je devais rencontrer un être exceptionnel.
Le Dr Levy, psychiatre de la côte est des États Unis, s’était déplacé jusqu’à Paris – me déclara-t-il – dans le seul but de rencontrer un guérisseur africain, aux pratiques prétendues « extraordinaires »… Un tel déplacement m’interpella et je voulus en savoir plus. Le Dr Levy m’indiqua en effet souhaiter rédiger un article pour une revue médicale américaine. Il se proposait ainsi de voir le soir même ce fameux guérisseur.
Le jeudi suivant, je revis le Dr Levy. Il me cherchait, semblait-il, du regard et se dirigea vers moi dès mon arrivée. Il paraissait en grande effervescence. Bien entendu, je l’interrogeai aussitôt sur cette improbable rencontre entre la médecine académique occidentale et les pratiques les plus obscures venues du fond des âges.
Son ton me surprit. Il ne s’agissait pas du registre convenu et lisse de ces déjeuners rotariens un peu formels. Dr Levy me regarda un instant, sans un mot. Il hésitait à l’évidence à me raconter… ou bien il ne savait pas par où commencer. Peut-être voulait-il seulement sonder ma capacité à entendre et à comprendre ce qui l’avait lui-même surpris et bouleversé, avant de s’aventurer à tenter de le partager avec le presque inconnu que j’étais pour lui.
Il bredouilla enfin : « – I can’t believe it! It… it’s just incredible… You ought to see that ». Dr Levy m’expliqua alors que ce fameux M. Ismaël, pratiquait un art étrange… quelque part à la croisée des chemins entre des disciplines aussi différentes que la psychothérapie, l’ostéopathie, l’hypnose et/ou l’acupuncture (voire l’exorcisme ou le désenvoûtement). Il évoqua même le mindfulness touch, dont je n’avais jamais jusque-là entendu parler. Frappé de l’évidence de cette démarche multiple, il m’expliqua sobrement : « C’est évident ! Ce mec a tout compris ! On apprend, à n’importe quel représentant de commerce, que – pour mettre en confiance un potentiel acheteur – le vendeur doit, au moment du closing, toucher son interlocuteur (pression sur l’avant-bras, main sur l’épaule etc.). Et, M. Ismaël, il le fait ! Il le fait… Et pas à moitié ! Il le fait même de manière géniale ! Mais dans le cadre d’une sorte de psychothérapie ! Alors qu’à nous psychiatres, on nous demande – à la fois – de susciter un transfert, mais surtout de ne pas toucher le patient, lui, il le masse ! Et surtout, il le guérit ! Incroyable. Non ?
Écoutez, Philippe Vous avez sûrement… mal au dos, des insomnies… des angoisses, je ne sais pas, moi… Allez le voir, sous n’importe quel prétexte. Et vous m’en direz des nouvelles ! »
Il me donna alors son adresse, quelque part près du boulevard Barbès et de la Goutte d’Or. Je ne revis pas le Dr Levy les jeudis suivants et n’en eus plus de nouvelles d’ailleurs, car à l’époque nous n’avions encore – moi en tout cas – ni GSM ni adresse e-mail et on perdait plus souvent la trace des gens. Mais je me rendis bien vite à la Goutte d’Or.
J’étais en effet alors seul à Paris loin de ma famille (qui vivait à Lyon), depuis plusieurs longues semaines. Et je m’ennuyais ferme. Je n’aurais sans doute pas prêté attention à cette étrange invitation, si je n’avais été aussi disponible et aussi seul.
Je rencontrai M. Ismaël (Maël, pour ses amis), un lundi soir.
Le Dr Levy avait organisé mon rendez-vous, dans un bistrot (près du métro Château Rouge). M. Ismaël arriva une bonne heure en retard. J’aurais renoncé à l’attendre, si le tenancier ne m’avait pas incité à la patience. « Avec Maël, c’est toujours comme ça », disait-il. « Avec les personnes, on sait parfois quand il commence, mais jamais quand il finit ! »
C’était un soir d’hiver et le bistrot était animé (musique africaine, éclats de rire). L’atmosphère était enfumée et moite. Des relents de cuisine exotique vous prenaient à la gorge. Je n’étais pas tout à fait à l’aise… Je me sentais déplacé, incongru avec mon costume-cravate… Et M. Ismaël qui n’arrivait toujours pas… Et pour tout arranger, il n’avait pas le téléphone, m’avait dit Levy.
Et puis M. Ismaël a débarqué. Il s’est tout de suite dirigé vers moi. Facile ! J’étais presque le seul blanc de la salle, en tout cas le seul type cravaté qui avait avalé son parapluie, le seul qui ne riait pas, le seul qui ne faisait que regarder la porte… C’était un grand black, aux cheveux courts et gris. La soixantaine bien sonnée. Il était mince et tout en jambes.
« – Désolé, petit, je t’ai fait attendre ! » me lança-t-il , avec un grand sourire édenté qui illumina son visage décharné. Il me prit la main entre les deux siennes et la secoua doucement en me fixant droit dans les yeux. Ces deux mains sèches et craquelées, plus grises que noires, enfermaient la mienne et semblaient ne pas vouloir la lâcher.
« – Je, je viens de la part du Dr Levy. Vous avez dû le voir la semaine dernière », commençais-je.
« – L’Américain ! Bien sûr ! Il est marrant, ce type. Tu le connais bien ? Il a l’air drôlement savant ! J’aimerais bien avoir un fils comme ça ! Et toi, tu veux quoi ? ».
« – Moi ? Eh bien, j’ai ma femme qui a mal en haut du dos. Et puis dans le bras. Et on sait pas bien ce qu’elle a. Ça dure depuis longtemps… Elle est un peu paumée… Et moi aussi. Et puis moi, je dors pas bien… C’est difficile de voir souffrir quelqu’un qu’on aime. Et de rien trouver à faire d’utile pour lui. »
Il sourit de manière compatissante, mais précisa : « – Je suis pas magicien, tu sais. Je sais pas soigner les gens, sans les voir ! Va la chercher, ta femme ! » Et il rit de plus belle.
« – Non. C’est pas possible. Pas aujourd’hui. Elle habite à Lyon ».
« – Ok ! Je vais essayer de m’occuper de toi, alors ! T’as pas l’air bien en forme, non plus. Mais d’abord, c’est l’heure de l’apéro, on va boire un coup ».
Maël m’offrit alors un breuvage étrange, de teinte grisâtre, sans doute très alcoolisé. Je n’osais refuser. Et, grimaçant derrière ma main qui tenait le petit verre, je tentais d’en finir vite avec ce rugueux liquide (beaucoup trop fort et pas très bon, pour être honnête).
Il m’emmena ensuite dans son logement, au troisième étage d’une petite maison sur cour, rue Myrtha. C’était une sorte de squat. En tout cas un immeuble quasi-insalubre. Mais les personnes qu’on croisait n’avaient pas l’air d’en être affectées. Elles saluaient mon guide d’un jovial « Salut Isma ! » ou « ça va Maël ? »
Il me fit entrer dans sa cuisine. Fit place net sur la table, balayant quelques miettes, du revers de la main. Puis y étendit une sorte de matelas de plage éreinté et douteux. Et prétendit m’y installer, visiblement pour un massage.
« – Mais ça va, moi. J’ai pas besoin de massage ! C’est ma femme qui a mal au dos. Pas moi ! »
Je commençais à regretter ma visite, me demandant dans quelle galère, je m’étais fourré. Il se frappa les cuisses, en riant. « – Je vais pas te découper, petit blanc ! Je travaille dans ma cuisine, mais je suis pas cannibale ! » Et il rit de plus belle.
Je me sentis un peu ridicule. De quoi avais-je peur, au fond ? C’est sûr, il n’allait pas me manger. Qu’est-ce que j’avais vraiment à perdre ? Que pouvais-je craindre ?
M’attachant à ne pas regarder l’état de saleté, du matelas déchiqueté, je me mis à plat ventre, comme il m’y invitait. Je plaçai ma joue sur mes mains, pour éviter un contact avec le matelas crasseux.
« – Tu es tout noué, petit. Qu’est-ce qui ne va pas ? »
Je ne répondis pas tout de suite. Il commença alors à m’envelopper la nuque, de ses larges mains. Puis ses mains suivirent mes épaules et mon bras. Il malaxait, au passage, le haut de ma colonne vertébrale de ses longs pouces. Son geste était lent et puissant. Il le répéta plusieurs fois.
« – Enlève ta veste, petit. On va la froisser. »
Je ne me fis pas prier. La situation me paraissait pourtant incongrue. Je n’avais pas voulu ce massage. Je n’aimais pas les massages, par principe. Et ce, depuis toujours. Et pourtant, j’ôtais docilement ma veste et repris place.
« – Attends, petit. Tu seras mieux comme ça. » Il attrapa dans un placard, au-dessus de l’évier, une serviette éponge propre. Et me la fit étendre, pour m’éviter le contact avec la toile peu ragoutante, du matelas.
« – T’es un délicat, petit blanc. Si t’as pas une serviette propre, tu vas jamais te détendre ! Je te l’ai pas proposée tout de suite, pour voir ! Juste pour voir si t’allais partir en courant ! » Et il éclata encore d’un rire joyeux. Je ris à mon tour de bon cœur.
« – Tu vas me parler de ta femme. Et de ses douleurs. Mais avant, tu vas aussi me parler des tiennes. »
Il se posta alors sur mon côté gauche. Et posa bien à plat ses deux grandes mains, la gauche sur ma nuque, l’autre à la base de ma colonne vertébrale. Il resta alors immobile et silencieux un long moment. Ses mains dégageaient une chaleur sèche et douce.
« – Détends-toi, petit. Respire doucement… Détends-toi. Tu parleras un peu plus tard. »
Je ne me souviens plus précisément du déroulement de cette première séance. J’étais sans doute sérieusement noué, depuis des mois, depuis des années, depuis que ma vie d’adulte avait cassé, un à un, mes rêves d’enfant. J’étais surtout noué, depuis que la vie professionnelle s’était révélée dans toute son âpreté et son ingratitude, depuis que j’avais collectionné un certain nombre d’échecs humains, financiers, amoureux. Depuis que la souffrance de ma femme et mon incapacité à la soulager m’imposaient cette limite à ce que je croyais être la toute puissance de l’amour. J’étais aussi noué et meurtri, depuis que j’entrevoyais que cette souffrance de ma femme puisse, en partie, être imputable à mon incapacité à la comprendre et à satisfaire ses rêves, comme son besoin de sécurité matérielle…
Cette séance dura sans doute plus d’une heure. Au cours de laquelle je me détendis tout à fait. Je commençai ainsi à réaliser l’existence de mes blessures et tentions inconscientes.
Un coin du voile allait ensuite se lever, mois après mois, sur leur détail. Et parfois sur leur cause. Envisager les remèdes serait bien sûr une autre paire de manches…
Je revis ainsi Ismaël plusieurs fois par mois (et parfois par semaine), pendant 3 ans. Il m’aida à éclairer mes problèmes, à prendre conscience de qui j’étais, de ce que je voulais vraiment, de ce que je pouvais et devais faire pour mon entourage. Il m’aida aussi à réaliser mes limites, à jouer avec elles, à les apprivoiser. Il m’apprit certains massages qui parfois dénouent les âmes et soulagent les souffrances du corps. J’en fis bien sûr bon usage et tentai de délivrer ma femme de ses souffrances. Mais n’y parvins pas. Ce douloureux échec m’incita à revenir plusieurs fois auprès de Maël, pour apprendre, scolairement s’il le fallait, le juste geste, le juste ton.
Il ne voulait pas (ou était incapable) d’un enseignement didactique. Certains mercredis soir il me montrait les gestes. Il disait alors à ses patients que j’étais son apprenti. Certains tordaient un peu le nez. Mais personne ne m’a demandé de sortir. Parfois, il me disait :
« – Je suis fatigué, petit blanc. Je vais prendre un remontant. Je reviens dans cinq minutes. »
Il descendait alors au café. Et je commençais à masser certains habitués, à sa place. Il ne revenait parfois pas avant une heure… parfois un peu éméché.
« – Tu bois, M. Maël ? Tu n’es pas un bon Musulman ! » le grondait alors son patient.
« – Allah est grand ! Et Il me comprend. Pour accepter les limites que la religion impose, il faut les dépasser de temps en temps, les apprivoiser, pour voir ce que ça fait ! Autrement, quel mérite y aurait-il à les respecter ? Malheur à celui qui ne franchit jamais les limites. Il devient un fanatique borné et moralisateur. Allah n’a pas besoin de moutons qui Le craignent sans comprendre, mais d’hommes responsables et généreux qui prennent des risques, donnent sans compter. Et méritent, en retour Son indulgence ! »
Petit à petit, je pris confiance. Et je crois que je ne m’en sortais pas trop mal. Mais j’avais besoin de comprendre la théorie, sa théorie, son truc, le secret de l’efficacité de sa méthode et de son succès, auprès du petit nombre de se adeptes de la Goutte d’Or.
« – Tu veux trop savoir… alors qu’il ne s’agit que de sentir ! Tu es déformé, par ta culture, petit blanc. Tu crois que tout s’apprend des autres ! Mais tu fais fausse route ! Tu dois sentir en toi, au plus profond de toi, le courant qui passe, entre la personne et toi. Tu dois avoir des yeux au bout des doigts, pour sentir où est la souffrance, où est la tension et où est la détente. Tu dois aussi ouvrir grand tes oreilles et ton cœur, pour sentir les souffrances, avouées ou inconscientes. Mais t’as pas confiance en toi… Pourtant, ce que tu seras un jour est déjà en toi. Tu dois aller le chercher au plus profond de ton âme. »
Je l’interrogeais aussi sur l’acupuncture, sur le shiatsu, les chakras… J’aurais voulu identifier les correspondances entre son approche personnelle et ces théories qui postulaient l’existence de circuits d’énergie complexes (cf. Les chakras, portes de notre âme, de notre esprit et de notre corps). Ça l’amusait. Mais ça l’agaçait aussi un peu.
« – C’est très bien tout ça. Et ça marche sûrement ! Mais moi, je n’ai pas besoin de la carte chinoise des énergies ni des chakras hindous, pour sentir les bonnes et les mauvaises ondes. Je les sens, au bout de mes doigts. Et toi aussi, tu sens tout ça. Mais tu n’as pas confiance en toi. Tu sais, petit, tu dois faire comme les aveugles qui apprennent à développer d’autres sens, parce que la vue leur manque. Toi, c’est pas la vue qui te manque, mais tu bloques tes sens, par ta science, par tes préjugés, ta raison, ton langage, ton éducation, ta culture, tes tabous… et surtout par ton manque de confiance en toi, en tes intuitions et en ta légitimité. Et du coup, tu fais pas confiance à ton instinct, tes émotions, ta créativité, ta spontanéité… Tu ne t’abandonnes pas au présent. Quand tu vis une expérience, tu la vis à moitié, tu te demandes dans quelle catégorie tu vas la classer et ce que tu vas en faire. Tu as tout faux, petit blanc. On n’est pas heureux, comme ça. On n’atteint jamais la plénitude de l’instant présent. La conséquence, c’est qu’on n’a rien – non plus – à donner à ceux qui partagent notre présent. »
Nota : L’article de ce même blog, qui traite de la complémentarité hémisphère cérébral gauche et droit complète ce propos (cf. ACCUEIL).
Maël, il disait que c’était tous les blancs qui étaient comme ça.
« – Si tu veux apprendre à soigner ta femme, à guérir ton stress et à donner du bonheur autour de toi, tu dois changer tout ça. Tu dois découvrir le bonheur de s’aimer soi-même, de s’accepter, d’accepter ce que la vie nous donne, sans en demander plus. Et tu deviendras aussi un peu africain ! Toi, tu peux comprendre ça, petit. Les cultures de la Méditerranée sont proches. Or, parmi celles-ci, la culture africaine est dominante ! Et toi, tu es un peu… méditerranéen. Non ? C’est pas comme ton Américain, le Dr Levy. Il est repassé me voir, récemment. Et tu sais ce qu’il m’a dit ? Que son article il sortirait jamais. Trop compliqué pour lui, de faire comprendre aux Américains, que pour calmer un enfant qui pleure, il vaut mieux le prendre dans ses bras, le consoler et le bercer, que lui planter des aiguilles dans le corps ou lui administrer des médicaments. »
Sa gentillesse et sa bonne humeur étaient communicatives. Il massait bien et beaucoup, pour aider ses patients (il disait les personnes ) à se confier, à extirper leurs malheurs, à verbaliser, comme on dit en psychologie. C’était aussi un sacré parleur, un philosophe, un prédicateur, même. Mais, par-dessus tout, il savait écouter, comme personne. Et il se rappelait toujours ce qu’on s’était dit. Et quel que soit le caractère honteux des mesquineries qu’on pouvait être amené à lui dévoiler, on se sentait toujours aimé, approuvé et accepté. On se sentait toujours beau et légitime, dans son regard.
J’ai malheureusement perdu de vue Ismaël, en 1997. Resté plusieurs mois sans pouvoir lui parler (je n’habitais plus Paris et il n’avait pas le téléphone), je lui écrivis plusieurs fois, mais n’eus aucune réponse. Puis, lors d’un passage à Paris, un ou deux ans plus tard, je devais apprendre qu’il avait quitté la France.
Sevré de cette stimulante bonté rayonnante, je tentai, avec quelques amis médecins, de formaliser ce que j’avais retenu de cet enseignement touffu de trois années.
Le premier médecin qui me fit confiance – a priori – fut le Docteur Jean-Pierre Duboc, aujourd’hui encore médecin à Lyon VIème, homéopathe et défenseur des médecines complémentaires et du concept de thérapie intégrative.
Puis ce furent plusieurs grands pontes de la médecine moderne, de culture africaine. Parmi ceux-ci, je remercie :
Le Professeur Ilunga KABYLA (titulaire de la Chaire UNESCO de Santé Publique à l’Université de Lumumbashi), le Professeur MOUTOMBO-NKULU (de l’université de Temple-Philadelphia, U.S.A.), le Docteur Daniel EDJO’O (médecine interne, à BAD-SÄCKINGEN, Allemagne), le Docteur Louisa DOLOGULE (de République Centrafricaine), Mlle Catherine Ngono (de Berlin, Allemagne), le Docteur Gaëtan KISAKA (médecin à Maubeuge, France), le Docteur H. Paul MESSI (de Berlin, Allemagne), le Docteur Adelbert KASONGO (de Maubeuge, France).
Il m’indiquèrent alors que la médecine moderne classait le genre de pratique à laquelle j’avais été formé dans les thérapies intégratives, dont Monsieur Ismaël était lui-même – à son insu, semblait-il – un précurseur.
J’appris bien plus tard que, s’agissant du soin du corps par l’esprit et de l’esprit par le corps, on parlait d’haptonomie. Je fis alors des recherches dans ce sens et me formai à cette discipline au fil des années, notamment à travers différents modules de l’ÉEPSA / École Européenne de Psychothérapie Socio-& Somato-Analytique.
Aidés de ces éminents médecins académiques, cependant ancrés dans la culture traditionnelle africaine, nous avons alors porté sur les fonds baptismaux un comité scientifique, sous l’égide de l’association France Afrique… Mais les louables entreprises se heurtent parfois à de triviales considérations matérielles, à la lourdeur administrative, au manque de disponibilité (ou de motivation) des uns ou des autres, à la résistance au changement. Et ce beau projet mourut dans l’œuf, après une stimulante et prometteuse séance inaugurale, le lundi 15 février 1999, à Paris, dans les salons de l’hôtel Raphaël, avenue Kleber à Paris.
A la lumière de l’échec de cette noble entreprise, je ne peux résister à la tentation de reproduire, ci-dessous, un extrait du PV de la réunion inaugurale du 15 février 1999. Monsieur Maël rirait bien, s’il en avait connaissance et se moquerait de moi, une fois de plus !
Extrait du PV de la réunion inaugurale du 15 février 1999
« Le Docteur DUBOC demande que soit cadré le champ de l’étude du Ki-Golo et des pratiques apparentées ou équivalentes ; le terme générique proposé est celui de “chirologothérapie”, le Ki-Golo n’étant qu’un des termes employés et ne regroupant qu’une des pratiques de médecine traditionnelle africaine, associant le geste et la parole.
Les participants conviennent que, si le tradi-praticien du Ki-Golo africain est amené à aborder un panel de pathologies variées, l’importation en Europe d’une pratique incontestable, inspirée de cette technique, semble plus particulièrement devoir s’inscrire dans une approche psychothérapeutique. Cet a priori mérite cependant d’être nuancé, car si les pratiques des rebouteux ou des guérisseurs sont mal connotées, dans la communauté scientifique occidentale, l’ostéopathie, en revanche y jouit d’une meilleure renommée. A son instar, le Ki-Golo, appliqué à des pathologies fonctionnelles bénignes (d’origine psychosomatique en particulier), ne doit peut-être pas nécessairement être écarté de ces affections légères.
Le Professeur KABYLA rappelle que l’étude du Ki-Golo ne se fera qu’à travers un matériau consistant d’écrits et de témoignages. Ces écrits seront soit des ouvrages ou des traités anciens, soit des thèses modernes. Le Professeur KABYLA propose de lancer un appel à la collaboration scientifique, à la transmission d’informations et à témoignages, à travers l’information des communautés scientifique et universitaire mondiales, sur la démarche entreprise par France-Afrique. De même, la collaboration de la presse sera sollicitée et un site Internet créé. Ce site servira de plate-forme à la communication, grâce à une rubrique « forum » et une boîte aux lettres électronique associée.
Le Docteur EDJO’O rappelle l’intérêt de nombre de ses confrères allemands et ukrainiens (d’origine européenne et africaine) pour cette étude, ainsi que l’intérêt de sociologues et de psychologues pour le sujet. Aussi, parallèlement à la collecte des informations théoriques, le Docteur EDJO’O propose-t-il que soient organisés en Allemagne des ateliers d’application clinique du Ki-Golo.
Le Professeur KABYLA demande alors à Philippe LAMY, « tradi-praticien » formé au Ki-Golo, s’il peut former à son tour les membres du Comité, ainsi que les futurs étudiants ou scientifiques intéressés à cette matière et partager sa pratique et son savoir.
Philippe LAMY formule un accord de principe, mais insiste sur le caractère purement pratique des connaissances acquises. La « pratique » transmise devra ainsi être complétée par un discours scientifique qui restera de la responsabilité du Comité. Philippe LAMY propose ainsi de réunir les scientifiques et les étudiants (ou des patients volontaires) dans la constitution d’ateliers d’application clinique, sous le contrôle et la responsabilité scientifique des médecins du Comité (ou des médecins traitants habituels des patients), en particulier s’agissant de cas relevant habituellement de l’indication de psychothérapie.
Le Professeur KABYLA appelle le Comité à la vigilance et rappelle la réticence, du monde médical français, à l’égard de toute pratique réputée relever du charlatanisme ou de l’exercice illégal de la médecine. Le plus grand soin devra donc être apporté à la présentation des ateliers envisagés et à l’information des participants sur leur caractère expérimental.
Les instances médicales françaises devront d’ailleurs être tenues informées.
Le Professeur KABYLA suggère de reproduire ce modèle d’ateliers d’application clinique du Ki-Golo aux Etats-Unis, plus réceptifs et plus ouverts que le milieu médical français aux médecines complémentaires ou traditionnelles.
A cet égard, il souligne l’intérêt de son confrère le Professeur MOUTOMBO-NKULU, de l’université de Temple (Philadelphia) U.S.A.
Le Professeur KABYLA propose en outre aux membres du Comité de venir, à son invitation, en juin et juillet 1999, à l’Université de Lumumbashi (Congo), où il organise (dans le cadre de sa chaire de Santé Publique à l’UNESCO, le Deuxième Colloque International « Santé, Education et Dialogue, pour le Troisième Millénaire ».
A cette occasion, il pourra présenter l’étude, entreprise par l’association, à la communauté scientifique internationale et organiser des ateliers débats.
De plus (notamment en sorte de pérenniser l’action de diffusion des techniques médicales ancestrales africaines, comme de les inscrire dans un projet moderne de développement scientifique et universitaire) Philippe LAMY rappelle son attachement à la création d’un Institut Universitaire de l’Afrique Moderne en Europe. Cet organisme serait notamment un centre culturel, un centre universitaire, une bibliothèque et une vitrine de l’Afrique moderne ouverte sur le monde. »
Quelle farce ! Rien de tout ceci ne vit finalement le jour. Et les liens providentiels créés à l’occasion de cette séance inaugurale historique du comité scientifique du Ki-Golo se disloquèrent en quelques mois, faute d’un véritable leadership et faute de moyens. Ce déplacement à mon invitation, de tous ces éminents spécialistes à Paris, pour certains depuis l’étranger, pour cette première séance était pourtant inespéré et prometteur. Je pense cependant que cette rencontre a eu lieu trop tôt… d’une part parce que mes activité professionnelles étaient alors trop intenses pour que je m’investisse suffisamment dans ce projet et aussi, parce que juste avant la démocratisation d’Internet et des courriers électroniques qui auraient si aisément pu nous garder en lien.
Le bon Monsieur Ismaël se tordrait les côtes de rire, sans doute, s’il est encore de ce monde, de voir tant de vaine agitation, autour de son art pourtant si naturel ! Pour lui, le savoir ne pouvait se transmettre à grande échelle. Il était ainsi réfractaire au principe d’un corpus de connaissances, aveuglément livré à une masse informelle. Seule, ainsi, la transmission orale d’un savoir faire et d’un rite initiatiques était possible. Comme cela s’était toujours fait, en Afrique, depuis la nuit des temps. C’est cette initiation individuelle qui permet aux « élus » de se révéler à eux mêmes et de devenir enfin ce qu’ils n’étaient que potentiellement.
Incapable de gérer la noble entreprise qui devait aboutir à la rédaction d’un corpus de connaissance et à la promotion d’une médecine traditionnelle africaine reconnue et scientifiquement encadrée, je me bornerai donc à raconter, en quelques mots seulement ce que j’ai vu et appris, rue Myrtha, à la Goutte d’Or de 1993 à 1997.
Au cours des trois années de mon séjour parisien, j’ai surtout admiré la bienveillance de M. Maël et l’unanimité de l’enthousiasme (parfois hystérique) qu’il suscitait. Certaines fois, il y avait la queue dans son escalier. Il allait alors voir les personnes, une à une, les rassurait par un geste ou un conseil et les renvoyaient chez elles apaisées, revenant aux cas les plus urgents.
De ce que j’ai pu apprendre de M. Maël, il serait né dans les années 20, au Sénégal. Il n’aimait pas parler de lui et disait toujours que son passé l’intéressait peu. Il répondait par exemple souvent à une question, par une autre question, ou par sa réplique fétiche : « Tu veux tout savoir trop vite, petit blanc ! », ou encore par un éclat de rire qui voulait dire la même chose.
Au cours de ces trois années, j’ai malgré tout glané quelques informations sur son parcours chaotique. Arrivé en France, pendant la deuxième guerre mondiale, avec un bataillon de Tirailleurs Sénégalais, il subit un véritable massacre, au cours duquel 188 de ses camarades furent exterminés, par la division de SS allemande Totenkopf, en juin 1940. Grièvement blessé, mais rescapé par miracle de cette boucherie, il fut recueilli, caché et soigné en France jusqu’à la libération (par une femme dont il n’a rien voulu dire). Il est alors monté à Paris. Il y a exercé le métier (ou le sacerdoce) de sorcier, guérisseur, voire psychothérapeute, jusque dans les années 1997, date à partir de laquelle j’ai perdu le contact.
Des personnes en souffrances (douleurs du dos, rhumatismes et/ou trouble du sommeil, perte de l’appétit, syndrome dépressif…), venaient trouver M. Ismaël. Était-ce son nom ou son prénom, d’ailleurs ? Je l’ignore encore. Il les écoutait, les rassurait. Toutes trouvaient, auprès de lui, le réconfort.
L’approche de M. Maël était presque immuable, quelle que soit le motif de la visite. Il faisait asseoir son patient, sur un pouf en peau de zèbre, en face d’un petit guéridon (où lui était servi un thé à la menthe) et il prenait place en face de lui. Puis il lui souriait d’un bon sourire édenté et l’invitait à raconter ses malheurs.
Au cours de la séance qui pouvait être longue (parfois près de deux heures), il ne prenait aucune note, mais clignait des yeux, hochait la tête et se frottait le menton, en signe d’écoute et d’encouragement à poursuivre. S’il le jugeait utile, il prenait la personne par l’épaule et la conduisait sur une vieille table d’examen éreintée (et douteuse) ou sur sa table de cuisine lorsqu’il recevait deux personnes simultanément ; ce qui était plus que fréquent. Il oubliait d’ailleurs souvent l’une des deux pour se consacrer à l’autre. Comme il l’avait fait avec moi, il facilitait les confidences par un massage enveloppant et apaisant, accompagné d’une calme exhortation aux confidences, quasi hypnotiques.
Monsieur Ismaël était un marabout respecté, à la fois guérisseur de l’âme et de l’esprit. Tel un rebouteux de nos anciennes contrées françaises, il repoussait le feu, réparait les entorses, soignait les douleurs du dos, mais il savait aussi prendre soin des esprits et des âmes. Certaines personnes en peine, mélancoliques (ou même en burnout) lui réclamaient son fameux massage de l’âme. Il s’agissait en fait d’un soin de relaxation bienveillant qui agissait tout autant sur l’âme et l’humeur que sur le corps. Le corps détendu dans un état de profond lâcher-prise n’était ainsi qu’un récepteur d’énergie et d’émotions positives, pour l’âme. Ismaël me disait : « – Tu dois apprendre à sentir l’âme des personnes au bout de tes doigts, petit blanc. Si tu fermes les yeux et ouvres ton cœur, tu apaiseras leurs blessures et leurs peines, tu éveilleras leur force vitale et toute leur énergie positive, tu les ramèneras alors dans la plénitude de leur âme triomphante. Je ne vois ici que de belles personnes, petit, que de belles âmes. Elles sont un peu cabossées, ces âmes, parfois, mais ce n’est pas difficile de leur rendre leur beauté, petit. Tu verras, fais-toi confiance ». Ismaël m’appelait plaisamment parfois « blanc bec », introduisant ainsi le rappel de mon double handicap : celui de n’être pas d’ascendance africaine et celui d’être un néophyte trop pressé, trop empressé et peu sûr de lui.
Monsieur Ismaël m’a patiemment initié à cette thérapie ancestrale, ainsi qu’à l’art de soigner le corps par l’esprit et l’esprit par le corps sans jamais s’impatienter. Par la suite, je n’ai jamais retrouvé une telle bonté d’âme (justement) que chez Monsieur Ismaël. Cette beauté qu’il redonnait aux âmes, c’était sans doute un peu de la sienne. Plus tard, j’ai retrouvé trace d’une pratique rituelle appelée Soul touch. Était-elle comparable ? Je ne saurais le dire. Les rares informations que j’ai pu trouver m’ont laissé penser qu’elle devait être plus religieuse que thérapeutique. Le Soul touch indou parait en fait mixer différentes techniques de relaxation, d’imposition des mains, et d’effleurement énergétique. Le tout dans un état de pleine conscience, favorisé par une mise en condition psychique préalable ou veille modifiée.
Initié à son approche thérapeutique et à son écoute si bienveillante, j’ai cependant éprouvé le besoin de compléter ma formation à l’Institut de Psychologie de l’Université Lyon II, à l’EEPSSA (Ecole Européenne Psychothérapie Socio Somato Analytique), par différents modules, avec le Dr. Iv Psalti de Bruxelles en sexologie (http://www.massage-feminin-lyon.fr/sexualite-positive/), ainsi qu’à diverses autres sources, par la suite, notamment en Suisse pour le massage de pleine conscience (mindfullness touch). Mais nulle part, je n’ai retrouvé une telle générosité, dans l’enveloppement, une telle efficacité (force, douceur combinées), une telle intelligence émotionnelle et une telle écoute au bout des doigts que celles que dont débordait mon maître, Monsieur Ismaël.
Pour finir et pour résumer les quelques éléments que le Dr Duboc et moi avons tenté de formaliser, après l’échec du Comité scientifique du Ki-Golo, nous proposons ces quelques lignes :M
INTRODUCTION
Nature et santé sont indissociablement liées et il n’est pas d’épanouissement du corps dans la contrainte (régime excessif, corset, carcans de toute nature…).
L’homo occidentalis est couramment en proie à l’inconfort d’une modernité et d’un prétendu progrès technique qui s’imposent à lui comme une fin et une éthique, plus que comme un moyen de parvenir à l’équilibre, à l’harmonie sociale et au bonheur. Son moi est en effet tiraillé entre nature et culture. Il est à la recherche de son identité : être animal ou être social.
Dès les premières années de son apprentissage de la vie, l’enfant d’homme découvre que seules les sensations négatives de son corps sont avouables (douleurs, irritations, lésions organiques etc.), alors qu’il convient de ne pas parler des sensations positives, voire de ne pas accepter le plaisir physique, car il est peu de plaisirs reconnus innocents. En notre société, seul le plaisir intellectuel est socialement correct, émotion artistique ou littéraire, par exemple… encore que pour être tolérée, l’émotion artistique se doive d’être chaste (ce qui relève du paradoxe !).
L’homme moderne (dont Freud a cependant bien montré à quel point il était, au fond, préoccupé de son corps) ne mesure pas combien il s’est éloigné de l’antique devise “ Mens sana in corpore sano (un esprit sain dans un corps sain) ”. Un corps sain n’est en effet ni un corps châtré (condamné aux seules performances sportives !), ni un corps virtuel, voué à actionner le clavier d’un ordinateur ou les commandes d’une console de jeu vidéo.
Pourquoi l’homme occidental se complaît-il alors dans le sacrifice et l’ascétisme et s’égare-t-il dans le virtuel ? La raison est évidente : la famille est la cellule de base de l’appareil social. La société, pour défendre son ordre et sa cohésion, a en effet instauré le tabou sexuel comme principal moyen de lutte contre la polygamie et donc l’éclatement de la cellule familiale. Or, les ayatollahs de notre pensée moderne occidentale ont réussi le tour de force d’imposer l’amalgame militant (et la confusion) entre acte sexuel et contact épidermique, dans une société moderne pourtant avide de défendre la liberté sous toutes ses formes ! La propagation des maladies sexuellement transmissibles (il est vrai alarmante en notre époque, du fait de la mondialisation des échanges) vient d’ailleurs redonner un nouveau souffle à ce tabou pourtant écorné par mai 68 !
Le XVIIIème siècle – pourtant plus libertin que le nôtre – ne connaissait pratiquement pas le divorce, alors qu’en notre XIXème siècle, un couple sur trois (voire sur deux) éclate !
Face à cet échec humain, il convient de dénoncer l’hypocrisie de notre société occidentale moderne et d’endiguer un excès de puritanisme et l’irrésistible montée du virtuel, comme panacée face aux souffrances et aux frustrations mentales et physiques que nous imposent les différentes crises (économique, religieuse, écologique, épidémiologique) que nous traversons en cette fin de millénaire.
La redécouverte de la nature, des produits bio semble le signe d’une amorce du retour du balancier vers une redécouverte de notre être charnel. Les Africains modernes, dans leur ensemble, sont restés assez imperméables au terrorisme intellectuel occidental sous toutes ses formes. La médecine moderne de l’occident a en effet gagné les grandes métropoles africaines, sans pour autant tordre le coup à la médecine traditionnelle africaine. A l’heure où l’occident aperçoit les limites de ses modèles (et même du nouvel ordre né de la virtualisation de notre monde) nous désirons sensibiliser le monde occidental à une très ancienne pratique médicale africaine, qui soigne le corps et l’âme à la fois, le corps au travers de l’âme et l’âme au travers du corps.
Cette médecine naturelle (qu’il est permis de définir comme intégrative) a pour nom : KI-GOLO. Elle s’apparente d’ailleurs beaucoup à la psycho somato thérapie.M
1 – PRÉSENTATION GÉNÉRALE
Le KI-GOLO (sous ses diverses formes et ses différentes dénominations locales) regroupe des pratiques traditionnelles africaines (d’inspiration médicale, philosophique, ou mystique) visant à soulager certaines affections somatiques et psychiques. Ces pathologies sont traitées par une action physique et psychologique associées.
Le terme scientifique de psycho somato thérapie semble pouvoir représenter la partie de cet art adaptée à la culture occidentale. Le terme de chiro-logo-thérapie (qui signifie littéralement la thérapie par la main et par la parole) qu’on peut également retenir est curieusement proche par sa sonorité du mot KI-GOLO. Cette ressemblance est cependant vraisemblablement fortuite.
En occident, l’influence de la santé psychique sur l’état physique est reconnue et nombre de désordres fonctionnels sont réputés psychosomatiques.
En Afrique l’influence du psychique sur la santé physique est également présumée. Le KI-GOLO postule en outre une interactivité physique-psychique à double sens. C’est pourquoi il associe une action physique à une approche verbale et psychologique, dans le traitement des désordres psychiques et psychosomatiques (abordés avec des procédures différentes, il est vrai).
La promotion en occident de cette approche traditionnelle africaine ancestrale intégrative semble paradoxalement originale et novatrice. Elle comble une attente évidente d’un grand nombre de patients. En effet, à entendre les médecins généralistes, les trois quarts des patients attendent autant d’eux, une écoute et une reconnaissance de leur douleur, qu’un véritable remède à leurs maux (ceci est sans doute encore plus vrai chez les personnes âgées, dont les maux laissent souvent le praticien impuissant).
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2 – ACTION PHYSIQUE
Pour la part liée à l’action physique du guérisseur, l’inspiration du KI-GOLO parait proche du principe de l’acupuncture, pratiquée en Chine depuis des siècles (mais répandue dans le monde occidental depuis moins de quarante ans). Dans ces deux théories, le corps humain est réputé traversé de réseaux complexes transmettant des messages à (et de) toutes les parties du corps, sous forme électromagnétique, thermique ou chimique. La représentation de ces réseaux de communication d’énergies, proposée par le KI-GOLO, est proche des schémas figurant les méridiens en médecine traditionnelle chinoise (acupuncture).
Le praticien du KI-GOLO agit sur ces énergies ou méridiens. Le KI-GOLO n’utilise cependant pas d’aiguilles mais les mains nues. Les mains permettent à la fois une action électromagnétique ciblée sur des points précis, mais aussi une action physique et thermique plus étendue. L’action physique du praticien est relayée parfois par un processus chimique naturel, lié par exemple à la stimulation de la production d’endorphine (hormone antalgique sécrétée par l’hypothalamus) par le patient. Il peut s’agir alors d’une réponse inconsciente à des sollicitations mentales ou cutanées. La proximité physique du guérisseur et du patient semble une chose naturelle dans la culture africaine. L’intégrité du praticien, comme l’innocence du patient sont en effet a priori présumées, tout comme l’innocuité de pratiques ancestrales, procurant l’apaisement des souffrances du corps et de l’âme.
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3 – ACTION PSYCHOLOGIQUE
L’action sur l’âme ou l’esprit du patient est primordiale dans un grand nombre d’affections de toute nature. Cette action psychologique est notamment menée grâce à l’échange verbal. Le langage est en effet une part non négligeable du KI-GOLO, puisque d’une part le patient guide et oriente la main du praticien et puisque d’autre part l’écoute active exercée par le praticien est un moyen privilégié pour dénouer les tensions internes et évacuer le stress du patient ou les mauvaises énergies .
Les mauvaises énergies (mauvais œil ou maléfices ) représentent aujourd’hui encore une croyance vive en Afrique. Le praticien du KI-GOLO oriente donc le patient dans une démarche de verbalisation de ses souffrances, inhibitions ou blocages. Parmi ces désordres, certains sont fréquemment réputés relever de l’influence des “astres domestiques” que reconnaît l’astrologie intersubjective ou fondamentale .
L’astrologie fondamentale (ou astrologie africaine), couramment mêlée à la pratique du KI-GOLO, est probablement l’ancêtre de l’astrologie moderne. Elle a pour principe que les astres qui influencent notre vie ne se nomment pas Jupiter, Mars ou Vénus, mais sont en fait des astres domestiques , qui ne sont autres que “conjoint”, “belle-mère”, “patron” ou “amis”, par exemple. Nombre de patients atteints d’affections psychosomatiques ou de troubles psychologiques sont en fait (parfois à leur insu) reconnus sous influence. La formule magique de l’astrologie africaine (résumée par un adage français) pourrait être : “dis-moi qui tu fréquentes, je te dirai qui tu es ”. Il est ici à noter que les Africains sont souvent convaincus que, victime de son succès, l’astrologie moderne est désormais privée de substance et de légitimité ; son caractère commercial impliquant une standardisation (nécessaire au traitement simultané d’une classe d’individus nés à une même époque), alors que l’astrologie fondamentale est par définition individuelle.
Dans la pratique du KI-GOLO en matière de thérapie psychique, l’écoute active et le langage atteignent donc une importance comparable à celle qu’ils revêtent dans le cadre de la psychothérapie dans notre société occidentale. Comme chacun le sait la civilisation africaine est fondée sur la parole et le langage y est paré de toutes les vertus et porteur de tous les espoirs.
L’action psychologique du praticien du KI-GOLO n’est cependant pas seulement de nature verbale. Les procédures mises en œuvre varient bien entendu en fonction de la typologie des cas abordés et de leur caractère de gravité. Le principe reste cependant une approche thérapeutique globalisante (ou intégrative), réservant une part plus ou moins dominante soit à l’action physique, soit à l’échange verbal, quelle que soit l’origine apparente des pathologies abordées.
Tout comme le psycho somato thérapeute moderne, le guérisseur africain, praticien du KI-GOLO, présume a priori une interaction entre le psychique et le physiologique (notamment une possible origine psychique dans un grand nombre d’affections apparemment somatiques). Son action peut paraître inspirée de celle de la mère, qui n’apaise pas la souffrance de son enfant avec des aiguilles, mais avec des caresses et des mots. Or, si les caresses de la mère sont par définition physiques , il n’est pas moins douteux que leur action soit paradoxalement essentiellement psychologique.
En matière de traitement de désordres d’ordre psychique, l’action physique menée par le praticien (recherche et palpation des méridiens, massages) favorise la décrispation graduelle du patient et la verbalisation de ses souffrances, l’expulsion des mauvaises énergies (ou maléfices) et les épanchements de l’âme, utiles à l’extirpation du mal ; au point que certains guérisseurs amènent leur patient dans un état proche de l’hypnose ou de la transe. En outre, dans certains cas les guérisseurs africains se livrent à des rites ou des pratiques (initiatiques ou mystiques) certes difficilement transposables dans la culture occidentale, mais dont on ne peut cependant nier l’utilité psychologique, lorsque la culture ou la sensibilité des patients les portent à croire à leur efficacité (effet placebo ).
Cette approche est assez éloignée de la médecine occidentale officielle et/ou académique. Observant les pratiques médicales modernes, on peut cependant opérer le double constat suivant :
- L’écoute, la reconnaissance de la souffrance du patient et le discours sont primordiaux dans le traitement des affections somatiques (d’origine psychique ou non) et ce même chez des patients présentant des pathologies lourdes ;
- En revanche, il est relativement constant que les affections psychiques sont essentiellement traitées par une action chimiothérapeuthique et par le discours, en France en particulier. Les actions physiques (massages, enveloppement, bains de chaleur etc.) sont en France peu pratiquées. Ceci parait paradoxal en l’état actuel des connaissances en matière de communication. L’importance du non verbal dans les échanges n’est en effet aujourd’hui plus ignoré (à tel point que le moindre vendeur de photocopieurs est formé à l’art de saisir le bras ou l’épaule de son client pour faciliter l’échange).
On peut en conclure que grand nombre des psychiatres, psychothérapeutes et autres psychanalystes redoutent – en fait – le fameux transfert dont ils proposent cependant le simulacre à leur patient. Et sans doute que leurs instances représentatives les redoutent encore davantage !M
4 – INDICATIONS
Les pathologies les plus courantes qui semblent, sans danger, pouvoir autoriser le recours à une thérapie complémentaire de type KI-GOLO (ou chirologothérapie) sont essentiellement les pathologies fonctionnelles (c’est-à-dire les affections dont la cause n’est pas une lésion d’un ou plusieurs organes). Il s’agit par exemple de :
- certaines rachialgies (certains maux de dos, notamment),
- certaines pathologies dermatologiques (certains eczémas, certains psoriasis),
- certains troubles digestifs,
- certains troubles du comportement alimentaire (certaines anorexies ou boulimies),
- certaines dépendances (alcool, tabac),
- certains asthmes,
- la fibromyalgie,
- la spasmophilie,
- certaines céphalées,
- certains syndromes dépressifs,
- certaines angoisses, certaines insomnies, apathies,
- certains troubles de l’identité ou du comportement,
S’il n’est pas lui-même médecin, le praticien (psycho somato thérapeute ou chirologothérapeute) s’assurera – par des examens appropriés qu’il invitera le patient à faire pratiquer par un médecin – qu’il s’agit bien de pathologies fonctionnelles. Il ne faut pas pour autant exclure les pathologies organiques dans leur ensemble. Elles peuvent, elles aussi, bénéficier d’un traitement par la psycho somato thérapie, en complément des traitements classiques.
Il est en effet généralement admis que les thérapies dites “complémentaires”, comme l’homéopathie, la phytothérapie, l’ostéopathie ou l’acupuncture, permettent une meilleure tolérance de certains traitements lourds (tels que radiothérapie ou chimiothérapie).M
5 – MISE EN GARDE
En Europe, le praticien du KI-GOLO n’a aucun titre pour poser un diagnostic (sauf bien sûr s’il est lui-même médecin) car il s’agirait alors d’un exercice illégal de la médecine. Le recours au conseil et aux soins d’un guérisseur KI-GOLO ne peut donc s’effectuer que sous le contrôle d’un médecin ou en l’absence d’affection caractérisée qui relèverait de la compétence d’un médecin.
La chirologothérapie ou la psycho somato thérapie n’a pas vocation (en occident pas plus qu’en Afrique) à se substituer à la médecine officielle moderne. Elle ne peut donc en aucune manière apparaître comme une médecine alternative . Il s’agit au contraire d’une thérapie complémentaire (au même titre que par exemple : la phytothérapie, l’homéopathie, l’acupuncture, l’ostéopathie, la psychothérapie ou la psychanalyse) dont la place au côté de la médecine moderne n’est pas contestable.
L’un des dangers, liés à l’exercice de ces thérapies complémentaires, est la possible absence de garantie du patient sur la qualification du praticien. L’aveuglement ou l’ignorance de professionnels insuffisamment formés, confrontés à une affection grave (tumeur, désordre mental majeur) ou à caractère évolutif, peut conduire à mettre en péril la vie du patient par un protocole de soins inadapté. Le praticien pourrait alors se rendre par exemple responsable d’abus de confiance et de non-assistance à personne en danger et d’exercice illégal de la médecine .
La pratique du KI-GOLO suppose parfois, en outre, une exploration des sentiments et des sensations intimes du patient. Cette démarche doit être conduite avec prudence auprès des sujets faibles ou instables. Les patients occidentaux en particulier, peu familiers de cette forme d’approche thérapeutique seront avertis préalablement au traitement. Ils devront formellement accepter le déroulement du protocole qui leur est applicable, par la signature d’une charte explicite sur les moyens proposés. Sauf cas particuliers, le KI-GOLO ne parait pas adapté au traitement des enfants.
La conduite d’un traitement est souvent empirique et l’adhésion du patient et sa participation sont primordiales. Certains patients sont réfractaires à ce type d’action thérapeutique. Le KI-GOLO ne pourra alors probablement pas les satisfaire. Le praticien doit également mettre en garde les patients sur le fait qu’il ne prend aucun engagement de résultat.M
6 – PERSPECTIVES
Le handicap majeur de toute entreprise de réhabilitation et de promotion du KI-GOLO, est l’abandon, puis le relatif oubli de cette science en Afrique, sous la pression de la médecine occidentale (qui s’impose, depuis plus de soixante ans, de manière hégémonique et totalitariste). Le terrorisme intellectuel de l’occident qui traite à la même enseigne toutes les pratiques traditionnelles, comme nées de l’obscurantisme et de la sorcellerie les plus barbares est d’autant plus fort, qu’il n’existe apparemment pas de support écrit complet et cohérent de la science du KI-GOLO (à l’inverse de la médecine orientale, riche de traités et de schémas).
Le monde africain est fondé sur une culture orale, par définition difficilement transmissible dans le reste du monde dont la culture est codifiée par l’écrit. La diffusion du KI-GOLO en Europe se heurte, de plus, à la difficulté de son expression dans les différentes langues de la communauté.
Amener la chirologothérapie au rang des thérapies complémentaires officielles (et non pas alternatives), au même titre que, par exemple, la phytothérapie, l’acupuncture, l’homéopathie, l’ostéopathie, la psychothérapie ou la psychanalyse, en Europe aurait constitué un but stimulant, pour moi. Mais je passe la main, à plus assidu, plus opiniâtre ou plus convaincant.
Le champ que reste ouvert est ainsi le suivant :
- Démarche scientifique de collecte et validation de données, par des spécialistes africains et occidentaux ;
- Constitution d’un corpus de connaissances exploitable ;
- Organisation de la formation de praticiens en Afrique et en Europe ;
- La création d’un centre d’application clinique, sous le contrôle des autorités sanitaires, au sein d’un dispositif universitaire (public ou privé);
- Le cas échéant expérimentations cliniques, encadrées par des représentants de la médecine moderne officielle.
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