La Maison, d’Emma Becker

Emma Becker est une journaliste féministe engagée qui a vécu dans sa chair et dans son cœur une immersion de près de deux ans dans une maison close à Berlin. Son roman « La maison » – paru chez Flammarion en 2019 (plébiscité par la critique et récompensé par de nombreux prix littéraires) – retrace cette expérience sulfureuse mais d’une grande humanité et d’une exceptionnelle générosité. Au long de ce chemin initiatique, elle a côtoyé la détresse amoureuse la plus sombre, mais aussi de magnifiques personnalités, en particulier des femmes qui se donnent corps et âme à ce qui représente pour certaines une sorte de sacerdoce. Offrir ce qui ressemble le plus à l’amour à des personnes qui en sont privées et pour certaines dans une totale détresse est en effet, pour Emma Becker, un des plus nobles métiers. Emma Becker écrit simplement sur l’amour et le sexe parce qu’elle écrit avec son cœur, en parvenant à faire taire un inconscient collectif castrateur qui diabolise et salit la dimension érotique de l’amour. Le récit de cette courageuse expérience – d’une exceptionnelle qualité littéraire – montre un amour bienveillant, généreux et innocent, un amour fraternel et une tendresse offerts à toutes et à tous… et en particulier aux exclus du sexe de tout poil et aux plus démunis au plan émotionnel et sensuel. 

Le combat d’Emma Becker : Réconcilier les femmes avec leur féminité, le Féminisme avec l’Humanisme

A propos du roman d’Emma Becker « La Maison » David Foenkinos déclarait dans l’Express du 12/09/2019 : « L’écriture demeure à jamais le meilleur alibi pour vivre les errances de nos désirs… ». Mais pour Emma Becker ne s’agit-il que de cela ?

Invitée sur le plateau de France 24 / Paris Direct et interrogée sur sa motivation première, à vivre cette expérience extrême et iconoclaste, elle répondait : « Ce qui m’a poussée à vivre cette expérience n’est pas seulement la passion de l’art littéraire, la soif de sensationnel ou mon goût du sexe, mais l’amour des femmes et l’impérieux besoin de leur rendre justice. Dans notre société moderne, les femmes sont bâillonnées et étranglées, à la fois par la pensée collective castratrice et qui se croit bienpensante et à la fois par une certaine doctrine féministe anti-mâles. Le féminisme est multiforme et il existe un féminisme radical qui voudrait m’interdire d’affirmer ma propre vision d’un post-féminisme libéré, d’un féminisme de réconciliation. C’est ainsi qu’à Grenoble, en 2019, un collectif féministe radicalisé (d’inspiration conservatrice) m’a interdit de tenir une présentation de mon livre La Maison et un débat avec les étudiantes qui m’y avaient invitée ».

Emma Becker explique que sa quête va bien au-delà du fait de satisfaire ses désirs. Il s’agit pour elle de mettre en place un laboratoire de recherche autour de la féminité dans toutes ses dimensions, une exploration de ses propres droits quant à la maîtrise de ses besoins essentiels en tant qu’individu. Emma Becker se revendique en effet membre d’une communauté de femmes qui vivent comme dépossédées – par une pensée collective patriarcale, hégémonique et violente – de la propriété de leur corps et de la jouissance de leurs droits sur celui-ci. Ce laboratoire se fixe d’étudier la confrontation de toutes les femmes avec leur féminité et leur désir, mais aussi la confrontation avec le masculin… le masculin en elles et chez l’autre. Le désir des femmes est indéniablement nié, mis sous le boisseau et même tabouisé par l’inconscient collectif à l’aube de ce troisième millénaire où l’on assiste au recul des liberté dans plusieurs directions.

Il s’agit ainsi, pour Emma Becker, à la fois, d’une tentative thérapeutique de lever le voile sur sa propre part d’ombre et de tabous et aussi d’éveiller les consciences féminines quant à l’urgence de sortir de la haine de son corps, du refus du plaisir et du refus de l’altérité. Un tel rejet de l’homme va pour certaines d’entre elles jusqu’à une manière d’automutilation, en ce qu’elles condamnent tout amour charnel masculin, tout abandon véritable dans l’amour avec un homme. Elles parviennent à se persuader que la vigilance, la méfiance… et l’abstinence sont la voie d’une réalisation par l’ascèse et celle du bonheur ou la garantie d’une intégrité qui ne pourrait qu’être altérée ou souillée par l’homme.

Impudence et collaborationnisme

Dans sa quête post-féministe de vérité toute crue et dans sa recherche des limites du désir et du plaisir féminins, Emma Becker a pu être taxée d’impudence (et même de collaborationnisme !). Mais elle assume cette impudence (ou cette impudeur) au nom de sa liberté d’expression et de sa revendication féministe. C’est pour elle un acte militant que de choisir elle-même la manière dont toute femme a le droit d’utiliser son corps. Et c’est un droit inaliénable et une liberté fondamentale que celui de pouvoir s’interroger seule sur ce qu’elle a envie d’en faire, en dehors de toute injonction sociétale. Et c’est le droit de toute femme de décider seule des expériences auxquelles elle est en droit de le soumettre… hors de l’ordre bourgeois dont on voudrait encadrer la liberté des femmes… y compris hors de leur zone de confort.

Pour Emma Becker, ce sont souvent les expériences extrêmes qui nous révèlent à nous-mêmes et éclairent nos véritables capacités d’interactions avec les autres. Au nombre de celles-ci, feindre la soumission à l’homme aussi bien pour explorer sa propre féminité, ses propres projections ou fantasmes, que par simple jeu érotique est sans doute ce qui fait le plus grincer les dents des féministes du siècle dernier. Mais il s’agit en réalité surtout d’un jeu du chat et de la souris dans lequel l’homme – consciemment ou non – est la souris et la femme joue le rôle du chat. Un chat qui mène son partenaire par le bout du nez et, finalement, a le dernier mot car la dépendance de l’homme au sexe et à l’amour le rend, en réalité, le plus vulnérable des deux. Il n’appartient ainsi qu’à la femme de se libérer des chaînes d’une soumission ancestrale tacitement acceptée, en inversant les rôles. Pour Emma Becker, il n’y a pas de dominant (ou persécuteur) sans victime consentante. A travers son expérience hors du commun, c’est bien ainsi sa toute-puissance de femme, face à l’homme, dont Emma Becker a pu faire l’expérience.

Nombre de femmes ignorent cette toute-puissance et acceptent implicitement de se résigner à supporter la domination d’un patriarcat arbitraire. Elles ne peuvent ainsi que se voir en victimes du système. Elles sont aujourd’hui en colère contre la société, leur employeur, la précarité de leur situation, contre leur compagnon, leur patron et/ou les hommes en général. Elles n’imaginent pas un instant agir de manière libre et secouer leur joug. Elles avancent dans la vie en serrant les dents (et les fesses), elles ressassent leurs malheurs passés ou spéculent sur un avenir incertain. Elles sont prématurément usées, fatiguées, peu épanouies et surtout enfermé dans le manège de leur pensées anxiogènes. Elles sont ainsi incapables de profiter pleinement de l’instant présent et peu disposées au lâcher-prise. Elles sont à la fois dans une méfiance et dans un contrôle permanent de leurs actes (cerveau gauche) / cf. Spécialisation de nos hémisphères cérébraux ; c’est-à-dire incapables de baisser leur garde et notamment incapables de faire confiance à la vie et de saisir la main que les hommes leur tendent ; ces hommes qu’elles étiquettent d’ailleurs souvent a priori comme des prédateurs mal intentionnés… De ce fait, elles sont loin de pouvoir s’ouvrir à un ressenti corporel positif en pleine conscience (cerveau droit) et encore plus loin encore de lâcher prise, de goûter les petits plaisirs de la vie… et encore moins de s’abandonner tout à fait aux plaisirs sensuels.

Mais rester prisonnières de la course folle du manège qui enflamme leur cerveau gauche n’est pas seulement l’apanage des personnes stressées ou déprimées. C’est aussi un déséquilibre qui pourrit la vie de nombre de personnes en manque d’estime d’elles-mêmes, trop sensibles, HPe (et/ou HPi) qui souffrent d’un manque chronique de sensations physiques et d’interactions humaines, émotionnelles et/ou ludiques. Même seules, ces personnes ne s’arrêtent pas de spéculer et de s’égarer dans le labyrinthe de leur pensée en arborescence, au détriment de leur sommeil et de leur équilibre émotionnel. Leur faire lâcher prise est ainsi une véritable gageure. La musique, la danse, la méditation, la course à pied, la natation, le cyclisme ou le yoga ne leur suffisent généralement pas. Il leur faut souvent des sports extrêmes, des compétitions et/ou le « grand amour » (ou au contraire des pratiques sexuelles extrêmes : libertinage, BDSM, spanking therapy ou Shibari pour lâcher-prise pour de courts moments. Mais ces moments sont salutaires car ce sont de précieux répits pour leur cerveau enfiévrés et l’occasion de recharger leur corps en hormones vitales telles qu’ocytocine, dopamine etc. / cf. article « Energie vitale, libido… et jeunesse éternelle ».

Générations X et Y… et post-féminisme

Douze mille ans d’un patriarcat arbitraire, violent et destructeur ont forgé les esprits masculins et féminins… et même les lois. Un demi-siècle de féminisme ne saurait ainsi suffire à remporter le combat des femmes et des hommes de bonne volonté pour promouvoir l’égalité des droits, la reconnaissance et le respect du sexe prétendu faible. Ainsi, tout mettre à plat et rebâtir une société juste et apaisée prendra sans doute encore de nombreuses années. Cela signifie-t-il que les générations qui connaitront cette société apaisée ne sont pas encore nées ? Et qu’il faille attendre l’avènement d’une véritable égalité de droit, à tous les niveaux de la société, pour en finir avec la violence, la méfiance et la haine ? La méfiance, la peur et la suspicion sont actuellement plus ou moins installées dans tous les milieux. L’affaire Weinstein et le mouvement #MeToo, notamment, l’ont en effet récemment rappelé et mis en lumière.

Emma Becker dénonce ainsi cette cristallisation des différences et des antagonismes féminin/masculin et tente de montrer une autre voie aux femmes pour qui l’homme est a priori un ennemi… ou pour le moins un danger. Certaines féministes extrémistes refusent même le soutien de militants masculins ou les excluent de leurs meetings et nombre d’entre elles rêvent d’un monde sans hommes. Cet état larvé de guerre froide est, pour Emma Becker, une conséquence directe (ou un dommage collatéral) du combat féministe – pour vertueux et légitime qu’il soit – du demi-siècle écoulé.

A l’aube du troisième millénaire les générations en âge d’aimer et de recevoir de l’amour ne sont-elles pas plus ou moins sacrifiées sur l’autel des règlements de comptes ? Existe-t-il, pour les femmes et les hommes de bonne volonté un lieu, certaines modalités (ou bonnes pratiques) pour vivre une sexualité décomplexée et innocente ? Doit-on espérer qu’en marge du légitime combat féministe, des pactes de non-agression puissent être passés ? Verrons-nous émerger – avant notre mort – l’amour fraternel, la bienveillance et la paix entre les genres ? Connaîtrons-nous une sexualité apaisée, innocente, généreuse et libérée des peurs, des tabous, telle que les plus anciens l’ont connue dans les années 70 ? Mais, ce retour au jardin d’Eden sera-t-il la récompense d’un cheminement individuel ou devra-t-on attendre une évolution sociétale vers une manière de matriarcat retrouvé ?

Emma Becker veut aujourd’hui en finir avec cette guerre froide. Elle a ainsi décidé de mobiliser toute l’énergie que, trop souvent, les femmes consacrent à repousser les hommes, leurs attentes et leur désir, pour explorer son propre désir et les possibles synergies à rechercher avec celui des hommes. Cette démarche d’apaisement devient plus simple quand les femmes vont sans peur au-devant des hommes. Elles découvrent alors les blessures, les fragilités et les points faibles des hommes, ainsi que leurs véritables attentes. Elles cessent ainsi de se sentir faibles, vulnérables ou dominées… La récompense de ce parcours initiatique c’est la (re)découverte de la bienveillance et de l’innocence de toute sexualité (entre adultes consentants) ; une innocence que n’auraient jamais dû lui dénier nos sociétés patriarcales (hétéronormées et monogames) qui nous éloignent chaque jour un peu plus du jardin d’Eden.

La plupart des femmes de la génération ‘X’ (nées entre 1965 et 1980) sont profondément marquées par le combat féministe du XXème siècle. Nombreuses sont celles qui se sont véritablement engagées et n’ont eu de cesse que de dénoncer l’injustice et la brutalité d’un patriarcat arbitraire et installé depuis plus de douze mille ans.

Les femmes de la génération ‘Y’ (nées entre 1980 et 2000) considèrent toujours le combat féministe comme légitime, salutaire et indispensable. Elles constatent cependant avec dépit qu’il est loin d’être achevé et que dénoncer un patriarcat encore très ancré ne suffit pas. Mais sous quelle forme le combat devra-t-il se poursuivre ? Où et comment agir ? Et verront-elles seulement un jour l’avènement d’une société juste et démocratique, reconnaissant et favorisant l’émancipation de la femme et l’égalité des droits entre tous les genres ? Nombre d’entre elles, découragées par l’ampleur de la tâche ont quelque difficulté à s’engager personnellement dans l’action féministe.

L’affaire Weinstein, comme d’autres affaires analogues de plus en plus visibles, révèlent au grand jour l’irrespect, la cruauté et l’arrogance d’une caste masculine qui se rêve au-dessus des lois. Le débat ainsi suscité crée les conditions d’une meilleure compréhension et prévention de tels agissements, les conditions d’une justice moins complaisante… La publicité donnée à juste titre aux abus et à la violence de ce type aussi attise aussi, malheureusement, la méfiance, les blessures et parfois la haine entre les genres. Dans ce contexte, pourtant, certaines jeunes filles de la génération ‘Z’ (nées après 2000) semblent mieux apprivoiser cette violence, en prendre leur parti et même se poser davantage en guerrières qu’en victimes. « Fight like a girl » parait un signe de ralliement que certaines se font tatouer sur la peau. On peut sans doute voir ici voir ici l’avènement d’une nouvelle toute-puissance féminine, plus apaisée, car davantage exercée que revendiquée. 

Les très jeunes femmes ont ainsi de plus en plus de facilités à dire non, aux abus (ou excès d’autorité masculins), à dissuader les prédateurs en tout genre, voire à les railler, les ridiculiser et même les mettre en déroute… ou au contraire à jouir librement de leur corps sans autres tabous que ceux qu’elles se donnent. A en croire les journaux féminins, nombre de jeunes filles et d’étudiantes (en particulier) exercent occasionnellement ou de manière plus ou moins régulière le métier d’escort girl, en toute innocence et en toute discrétion, grâce à Internet. Elles sont par ailleurs assez libres et dépolitisée. Elles ne se réclament ni du post-féminisme, ni d’Emma Becker et ne militent pas davantage pour la révolution sexuelle. Elles l’ont simplement faite, à leur niveau individuel et en toute discrétion.

Emma Becker n’est aujourd’hui pas seule à considérer que la liberté sexuelle et même la prostitution ne sont, en particulier pour les femmes, que l’exercice ultime de la liberté d’émancipation d’un patriarcat intolérable. La série de podcast post-féministe « La Politique des putes » donne en particulier la parole aux travailleuses du sexe. Leurs points de vue sont d’une grande diversité mais s’y expriment sur un ton libre et apaisé qui s’inscrit bien dans le projet de réconciliation d’Emma Becker. De réconciliation des femmes avec elles-mêmes, des femmes avec les hommes, des femmes avec les femmes etc. Les deux seuls ennemis désignés – pour ce collectif politiquement engagé – étant le patriarcat (et son cortège d’interdits, sa systématique tentative de dépossession des êtres humains de leur sexualité et de leurs pouvoirs sur leur propre corps) et la monogamie. La monogamie c’est ce qui fait que, au-delà de l’injonction sociétale qui nous dépossède de nos pensées et de notre libre arbitre sur l’usage de notre corps, nous avons à rendre compte de nos actions, de nos désirs, de nos intentions ou de nos pensées à un.e conjoint.e qui s’imagine dépositaire d’une sorte d’autorité morale sur nous, voire notre propriétaire. Et ça c’est pour ce collectif une véritable aliénation. 

A l’appui de cette déclaration radicale, elles argüent : « Que pourrions-nous penser de l’amitié, ce si noble sentiments nous imposait de choisir un.e ami.e unique pour aujourd’hui, pour demain et pour l’éternité, nous contraignant à renoncer à toutes les autres ? » Cette posture me rappelle l’ouvrage d’Erich Fromm, l’Art d’Aimer (The Art of Loving) paru aux USA en 1956. Pour Erich Fromm, le creuset de tout amour est un amour fraternel, sans attente ni injonctions et débarrassé des poisons que sont jalousie, mensonge, reproche, culpabilité… / cf. https://www.spring-medicare.fr/conseil-coaching/une-vision-libre-du-couple/.

L’expérience ultime de la prostitution

Emma Becker n’hésite ainsi pas à affirmer que la prostitution de certaines femmes engagées et volontaires représente une forme d’activisme féministe dans laquelle la femme se réapproprie son corps (jusqu’à en faire commerce). Ce corps dont le patriarcat le plus brutal avait fait sa propriété exclusive, au point de l’avoir parfois mutilé, notamment à travers l’excision pour le priver de tout plaisir (puisque seul comptait le plaisir masculin). Ce corps que l’homme s’était autorisé à cacher (burka) pour le soustraire au monde. Un patriarcat arbitraire et violent a en effet tout mis en œuvre depuis plus de douze mille ans pour rendre la femme dépendante de l’homme. La confiscation des dots par les maris jusqu’au XIXème siècle, La privation de droits civiques féminin jusqu’au milieu du XIXème siècle, en sont un exemple. L’interdiction de conduire une automobile qui existe aujourd’hui encore dans certains pays ou l’inégalité de salaire, à travail égal, dans de nombreuses entreprises, en sont d’autres plus près de nous. Le refus d’un statut de travailleuses ordinaire et une protection sociale à part entière pour les pour les prostituées est ainsi une discrimination de trop !

Toutes les lois anti prostitution qui ont vu le jour n’ont offert aucune réelle perspective d’éradiquer le plus vieux métier du monde, mais seulement de le repousser à la périphérie des villes, hors de la vue des personnes bienpensantes. Ceci a malheureusement favorisé l’insécurité, les violences, les trafics, les maladies auxquelles sont ainsi exposés les travailleurs du sexe, comme leur clientèle.

Pour Emma Becker il s’agit aussi de témoigner et militer pour la défense et la protection de ces millions de travailleuses et travailleurs silencieux qui font le choix individuel du commerce de leur corps et de services sexuels. Or, si l’Etat français « tolère » hypocritement cette activité, il ne lui reconnait pour autant aucun véritable statut et n’offre ni contrôle ni protection.

Cette activité est ainsi à la merci du grand banditisme : enlèvements, proxénétisme, traite des êtres humain, détournement de mineurs, immigration clandestine etc. sans parler des trafics annexes (drogues, organes etc.). Les travailleurs du sexe sont en outre privés de toute protection sociale, sanitaire, juridique et policière. Cette situation place la France en retard par rapport à ses principaux voisins immédiats – Pays-Bas, Belgique, Espagne, Suisse ou Allemagne – qui ont compris qu’aucune morale ni aucune loi ne saurait combattre le plus vieux métier du monde et surtout le droit fondamental de chacun à disposer de son corps à sa guise. Nos voisins ont aussi compris que la légalisation de la prostitution était un enjeu de Dignité humaine, de Santé publique et d’Ordre public.

Enfin, les travailleurs du sexe ne demandent aucun autre privilège que ceux des autres travailleurs du secteur marchand et ne rêvent que d’être entendus, de travailler au grand jour et de payer leurs impôts, de bénéficier d’une protection sociale, dans un cadre sécurisé, comme tout salarié, tout autoentrepreneur ou tout professionnel libéral. Car, si le travail du sexe n’est pas un travail comme les autres, les femmes et les hommes qui en font le choix sont bien des personnes humaines qui ont droit à la même dignité et à la même reconnaissance et à la même protection de l’Etat que les autres.

En France, la loi Marthe-Richard du 13 avril 1946 a aboli la prostitution (réglementée depuis 1804) et elle a imposé la fermeture des maisons closes. Mais cette mesure n’a aucunement éradiqué le plus vieux métier du monde (pas plus qu’elle n’a éradiqué la détresse sexuelle qui a pour seul exutoire la prostitution). Bien au contraire, elle l’a repoussée dans la clandestinité, a précarisé les « métiers du sexe », l’a privée de l’accès à toute protection sociale, de l’accès au Droit du Travail, de tout contrôle et protection sanitaire pour les travailleurs comme pour leurs clients. Cette précarisation et cette marginalisation des métiers du sexe, dont la société et l’Etat se sont pudiquement détournés, a favorisé sa prise en main par les mafias, le grand banditisme et les activités criminelles de traite d’êtres humains ; ce qui entraine en cascade des problématiques d’immigration clandestine, d’exploitation de mineurs, de violences silencieuses et incontrôlables… et représente aussi une fraude fiscale et sociale d’une ampleur gigantesque (même si cet aspect est sans commune mesure avec l’abjection des crimes contre la dignité humaine que favorisent la clandestinité et la précarité).

La question de la réouverture des maisons en France doit-elle être reconsidérée ? Le législateur doit-il écouter des personnes bien-pensantes et qui n’envisagent ce débat que de manière théorique et à travers le prisme d’une idéologie répressive ? Ou doit-on donner la parole et écouter les travailleurs du sexe eux-mêmes ? Le sujet est multiple car il engobe les enjeux de dignité humaine, d’Ordre et de Santé Publique, de crime organisé (traite des êtres humains) qui sont la conséquence de leur fermeture.

Sait-on ce que représente la prostitution clandestine, la traite d’humains, le déni du droit le plus fondamental de ceux/celles qui ont choisi cette voie ? Des love centers officiels (comme il en existe en Allemagne, en Suisse ou en Belgique), contrôlés par la police, par les autorités sanitaires et relevant du code du travail, ne seraient-ils pas une meilleure garantie pour la société ? Et un cadre moins inhumain pour les travailleurs du sexe eux-mêmes ?

Et si la question n’était pas seulement de savoir si la prostitution était un métier comme un autre, mais plutôt de savoir si les personnes qui font le choix de cette voie sont des citoyens comme les autres ? Des personnes qui ont le droit de disposer de leur corps et de leur destin comme des adultes pour qui aucun esprit même bien intentionné n’a le droit ni le pouvoir de décider à leur place ce qui est juste et bon pour elles ? Des personnes ayant droit à la même sécurité, à la même protection de la loi (Droit du travail), à la protection sociale et surtout à la même dignité que les autres ?

Philippe Lamy

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