Pleine conscience (de l’instant présent), versus pensée élaborée, stress de performance ?
L’espèce humaine moderne (homo sapiens) est équipée d’un cerveau atypique au sein du règne animal.
A l’aube de l’humanité, nos ancêtres homo sapiens n’étaient guère plus que des animaux comme les autres, tantôt gibiers, tantôt chasseurs. Leur cerveau leur servait essentiellement à savoir réagir aux situations du présent, par exemple chercher un abri, chasser, cueillir des baies et des fruits pour se nourrir, combattre ses ennemis, se reproduire, nourrir ses enfants, combattre ou fuir ses prédateurs…
Il faut s’imaginer l’état du territoire appelé aujourd’hui européen à l’époque où homo sapiens commence à le coloniser, aux environs de – 40 000 avant Jésus-Christ.
À l’époque la population mondiale est de moins de 2 millions d’habitants. Il n’existe aucune ville au monde, ni même aucun campement de plus de 150 personnes. Car les tribus ne sont constituées que d’une dizaine ou de quelques dizaines d’individus.
La surface des zones les plus tempérées est constituée de forêts primaires et il n’existe aucune route aucun chemin. Il n’existe aucun repère ni au sol ni ailleurs (puisqu’il n’existe aucune carte). Les hordes humaines ont ainsi peu de chance de se rencontrer.
On peut en conclure que la stimulation liée aux échanges est extrêmement faible. Il est ainsi difficile de trouver des partenaires sexuels hors d’un cercle de consanguinité restreint. On peut supposer que l’organe voméronasal (également appelé organe de Jacobson) d’homo sapiens était plus réceptif qu’aujourd’hui aux signaux chimiques (phérormones) du sexe opposé pour identifier les partenaires sexuels compatibles et s’en faire identifier
Adaptation : sélection naturelle
Mais, au fil de la préhistoire, ce cerveau a permis à nos ancêtres ont appris à anticiper les situations liées aux dangers qui précarisent et menacent de la vie sauvage.
Ils ont aussi appris à concevoir et réaliser des outils
Ils se sont enfin sédentarisés en passant du statut de chasseurs-cueilleurs à celui d’agriculteurs-éleveurs (révolution agricole, à partir de -12 000 à -10 000 ans avant JC).
Ceci les a conduits à s’organiser en sociétés. Ils ont dû apprendre planifier et s’inscrire dans différents projets de moyen et long terme (commerce, politique).
Une société complexifiée et plus hiérarchisée
À un rythme variable, selon les sociétés, les activités humaines se sont complexifiées et hiérarchisées, avec l’apparition du troc, puis des monnaies, des grandes citées avec leurs cohortes de hauts dignitaires, de fonctionnaires d’armées. Sont apparus alors le calcul et l’écriture, les religions.
Et chaque fois nos ancêtres ont dû, pour survivre, anticiper, s’adapter à la complexité et à la sévérité de la vie en société.
Cette nouvelle organisation sociale en cités et états apportait, certes, un certain confort pour nos ancêtres les plus adaptables, mais amplifiait aussi les fléaux historiques de l’humanité :
- épidémies,
- famines,
- guerres et injustices ;
Les moins forts physiquement ou les moins « équipés » mentalement ayant toute chance d’être génétiquement éliminés.
Le projet, le calcul, l’anticipation deviennent vitaux pour l’homme moderne et sont ainsi survalorisés.
La pleine conscience de l’instant présent est dès lors négligée, ignorée et le plaisir sensuel est disqualifié, stigmatisé, diabolisé…
Cette évolution de l’espèce s’opère au moyen d’une sélection naturelle qui amène l’humanité moderne à surinvestir l’anticipation, le calcul, le projet, au prix d’une déconnection de l’instant présent.
- Comment convaincre, en effet, un écolier de faire ses devoirs, plutôt que d’aller jouer au ballon et donc de renoncer à un plaisir immédiat, si ce n’est en lui promettant des gratifications en fin d’année s’il réussit ses examens et un avenir (souvent matériel) radieux ?
- Comment convaincre des millions de travailleurs d’obéir à des règles et des chefs parfois durs et injustes pour de bas salaires, si ce n’est en leur promettant un au-delà meilleur ou en leur faisant miroiter un avenir meilleur pour leurs enfants (ascenseur social) ou encore d’hypothétiques gains à la loterie ?
La morale et l’inconscient collectif inspirés par les grandes religions instituent en outre nombre d’interdits et de tabous qui diabolisent les satisfactions et les plaisirs immédiats et survalorisent l’ascèse, le renoncement.
Nous sommes ainsi exposés à une injonction de performance et nous devons nous adapter, à marche forcée, à une concurrence effrénée qui conduit les plus exposés ou les plus vulnérables au seuil du burnout.
Claire, jeune juriste d’une société de conseil me confiait récemment : Je suis explosée de fatigue. Mon cerveau ne trouve pas le repos. Une idée en amène une autre, des cascades d’autre en arborescence… et je ne m’endors qu’au petit matin ou me réveille au milieu de la nuit, épuisée, angoissée. Mon cœur bat à se rompre comme si je terminais une course poursuite. J’ai peur de ne pas arriver, de décevoir (mes collègues, ma famille), de devoir renoncer à mon poste. Je n’en peux plus. Je voudrais descendre du manège… »
Stoïcisme, hédonisme et pleine conscience
Le burnout nous guette ? Mais comment faire ralentir le manège qui nous emporte à grande vitesse au risque de se rompre et de nous broyer ?
La recherche d’un ancrage dans l’instant, dans la pleine conscience, dans les sensations positives du corps – ici et maintenant – constitue un des recours thérapeutiques les plus efficaces. La danse, le yoga, la méditation de pleine conscience, le massage, l’art thérapie sont les voies les plus courantes vers la redécouverte des sensations de son corps et dans la pleine conscience de l’instant.
Autre approche plus philosophique, les stoïciens, les hédonistes ou les bouddhistes nous appellent à ne pas rechercher le bonheur dans le projet, mais à prendre conscience que le bonheur se trouve aussi dans l’acceptation et la pleine conscience de l’instant présent.
- Pour les stoïciens, la douleur n’est qu’une tension que notre esprit refuse. Si nous entrons dans la pleine perception objective de cette tension, si nous arrivons à l’appréhender dans toute son étendue, toute sa violence et parvenons à l’accepter, nous pouvons la percevoir comme une jouissance ultime. Certains stoïciens allaient jusqu’à se faire broyer un genou dans un étau pour vivre ce défi de la pleine conscience à l’instant présent (c’est ce que rapporte Arrien de Nicomédie, disciple d’Epictète). Cette démonstration est l’exemple le plus ultime des expériences de pleine conscience de l’instant présent, puisque qu’il obère gravement le futur, par le caractère irréversible de la mutilation opérée. En effet vivre l’instant présent au point de sacrifier, saccager tout possible avenir et l’exemple ultime du lâcher-prise.
- Les hédonistes sont également prêts à se noyer dans la pleine jouissance des plaisirs terrestres de l’instant, mais les conséquences de cet abandon au plaisir en pleine conscience n’entrainent pas de conséquences aussi graves, sur le futur, que les automutilations de certains stoïciens.
- Les bouddhistes refusent également l’idée de miser sur un projet d’un bonheur futur hypothétique auquel on devrait sacrifier l’instant présent.
Pour eux, le bonheur est un état relativement stable chez chaque individu, suivant son acceptation de lui-même et de ses limites et ses dispositions au bonheur.
Ainsi, l’atteinte de tel objectif (mariage, naissance d’un enfant, réussite professionnelle, gain à la loterie) ou au contraire la survenance d’événements tragiques (deuil, maladie, faillite) ne constituent que des épisodes passagers qui élèvent ou abaissent provisoirement notre niveau de bonheur.
Ce constat que notre bonheur dépend parfois plus de nous que d’événements conjoncturels extérieure est une chose assez répandue. Nombre d’entre nous en ont eu l’intuition ou en ont déjà fait l’expérience.
Mais le message radical du bouddhisme, c’est que – pour atteindre au bonheur – il est inutile de courir le monde, de bâtir des projets, d’entreprendre et que la meilleure voie vers la plénitude est de se contenter de développer son attention, sa présence à soi-même, en pleine conscience et sa présence aux autres et au monde en toute bienveillance.
Philippe Lamy
Médiateur diplômé, de l’Institut de Psychologie de l’Université Lyon II (2000)
Coach adhérent de l’European Mentoring and Coaching Council (EMCC France et EMCC International) n°23124, appliquant la charte déontologique https://www.emccfrance.org/deontologie-coach-mentors/
Formé en 2017-2018 / FTSP Thérapie Sexuelle Positive (par la Dr. Iv Psalti / Accréditation Ordre des Psychologues du Québec (R401425-15 et RA01424-15) et SPF Santé Publique Belgique (SR-NR : 2-42932116)