La transgression c’est le non-respect volontaire (voire militant), d’une obligation, d’une loi, d’un ordre, des règles, d’une limite (ou de ses limites) et/ou des croyances et valeurs communément partagées par le groupe humain, dont on est issu.
La transgression, une manière de souligner les normes
La transgression ne s’oppose pas à une limite, mais elle franchit les limites, dans leur principe. C’est-à-dire qu’elle affirme la possibilité de vivre au-delà des interdits. Ce sont ces interdits ou tabous qui distinguent l’humain de l’inhumain ou simplement l’humain, de l’animal[1].
La transgression, c’est franchir une ligne interdite (plus ou moins sciemment) en bafouant les règles élémentaires de vie en société, clandestinement (seul ou en groupes secrets : messes noires, pratiques échangistes et/ou SM, cannibalisme, nécrophilie, scatophilie…) ou de manière revendicative, ironique et/ou désespérée (GayPride, punk ou gothique attitude, terrorisme…).
La transgression a en effet parfois un caractère ostentatoire : On enfreint la loi, pour être vu et identifié comme un élément réfractaire, voire rebelle ou dissident, indépendant et/ou courageux, et, surtout, pour obtenir la reconnaissance du groupe auquel on souhaite être identifié et/ou agrégé (sentiment d’appartenance parfois, recherché des exclus de la société « bourgeoise »).
Chez l’adolescent, la tendance à la transgression des règles correspond à un stade décisif de formation de la personnalité et de développement intellectuel (apparition du libre-arbitre, de l’esprit critique), car elle remet en cause la légitimité du système de valeur, du groupe dont on est issu, auparavant considéré comme évident et/ou naturel.
De la même manière, chez des adultes en mal d’identité ou exposés à une souffrance, liée à une hypertrophie cérébrale gauche[2], la transgression thérapeutique (le jeu avec les limites ou de mini-transgressions) pourra contribuer à un salvateur recadrage identitaire (Qui suis-je ? Qu’est-ce que je veux vraiment ? Que serais-je prêt(e) à sacrifier des règles que m’impose mon éducation pour parvenir à mes objectifs des vie ? Quelles sont les règles et croyances auxquelles je choisis de souscrire ?).
La transgression est parfois une recherche inavouée ou inconsciente d’une sanction ou d’une punition. Elle peut parfois ainsi favoriser l’identification et la reconnaissance des règles de conduite et des principes moraux que l’on a voulu enfreindre, voire l’acquisition des notions de bien et de mal.
Par ailleurs, transgression et système de valeur vont de pair et ne se conçoivent pas l’un sans l’autre. Lorsqu’on transgresse, c’est bien sûr par rapport à un système de valeur donné, que l’on tend alors à dépasser ponctuellement et auquel, par là même, on se réfère, de facto. Paradoxalement, la transgression dessine donc en négatif l’existence des principes moraux et des règles de conduite qu’elle prétend remettre en question (s’il n’y avait pas de limite, il n’y aurait pas de franchissement de limite et s’il n’y avait aucune règle, il n’y aurait plus de notion de transgression).
Sortir de sa zone de confort : la clé de l’apprentissage
Pour Romain Gary, résistant, héros épique des temps modernes et écrivain, « la vraie vie ne commence qu’au-delà de notre zone de confort » ; c’est à dire au-delà de nos limites.
Ce concept de zone de confort est à la base de tout apprentissage, de toute transformation et de toute évolution. La zone de confort représente ce que nous avons l’habitude de faire, de penser, de ressentir. C’est ce que nous connaissons et qui nous est familier, y compris nos expériences passées positives et négatives ainsi que nos comportements constructifs et destructifs. Ce sont toutes nos connaissances à ce jour.
Si nous voulons grandir, nous dépasser, il nous faut quitter le monde familier et nous aventurer en terre inconnue, hors de nos limites. Franchir ces limites comporte un risque, car nous ignorons ce qui se passera et si nous serons capables de gérer la nouvelle situation. Ainsi, nous préférons souvent nous cantonner à ce que nous maîtrisons déjà : la somme de nos expériences vécues. Or, cette zone dans laquelle nous nous réfugions correspond également à nos limites, et plus nous gagnons en expérience, plus nous aurons de raisons valables pour demeurer à l’intérieur de notre zone de confort, d’autant plus qu’elle paraît étendue à nos yeux.
Apprendre signifie toujours qu’il faut prendre un risque. Et on ne progresse que par ses échecs (Piaget). A chaque pas que nous effectuons en dehors de notre zone de confort, celle-ci s’étend. A chaque fois que nous caressons une nouvelle idée, que nous faisons ou ressentons quelque chose de neuf, nous agrandissons notre zone de confort. En d’autres termes : nous évoluons, nous grandissons.
Ainsi, notre capacité à prendre des risques, à dépasser nos limites, à sortir hors de notre zone de confort forme la clé de notre évolution.
Sortir de sa zone de confort, une forme ultime de liberté
Sortir de sa zone de confort est ainsi la forme ultime de la liberté individuelle. Mais si notre idéal de liberté peut nous conduire à nous affranchir de certaines limites, c’est aussi notre idéal de liberté qui doit nous conduire – dans un Etat de Droit – à respecter les limites des personnes avec qui nous sommes en interaction. Car le droit à l’exercice de la liberté de chacun à pour limite ultime le droit des autres à défendre leur propre liberté ; et ce droit souverain à la liberté impose de facto à tous une limite dans leurs interactions avec autrui comme avec l’environnement, puisque le principe même de liberté suppose le respect de la liberté des autres, y compris celle de nous dire non. Les personnes qui ne respectent pas ce principe sont des gourous ou pour le moins des prédateurs et non des personnes réellement désireuses de défendre le principe de liberté. Nous n’avons ainsi par exemple aucune légitimité à prétendre imposer nos choix, nos théories, notre mode de vie à quiconque, pas plus qu’à polluer ou détruire notre environnement.
La liberté des uns s’arrête là où commence celle des autres, dit le proverbe
Sortir de sa zone de confort est aussi une théorie à la mode. Mais l’idéal de liberté qui anime ceux qui s’y aventurent doit relever d’une démarche individuelle et volontaire et ne pas répondre à une mode ou à une injonction sociale… sinon le sens même de cette démarche libératrice est dévoyé.
Il y a en effet plusieurs catégories de personnes :
- Les gens qui n’ont jamais entendu parler de cette démarche individuelle de développement personnel ou ne souhaitent pas sortir de leur zone de confort ;
- Les personnes qui seraient tentées par telle ou telle folie ou transgression, mais sont par principe persuadées que rester dans leur zone de confort les protège ou est plutôt une bonne chose ;
- Celles qui se moquent des théories à la mode, n’ont pas trop de principes et sortent à l’occasion, de leur zone de confort, sans états d’âme ;
- Celles qui pensent que sortir de sa zone de confort est une manière de tester ses limites et d’exercer leur liberté individuelle. Et qu’il est sain ludique, voire même jubilatoire par principe – à l’occasion– de sortir de sa zone de confort et que ça ne peut que contribuer à leur développement personnel de prendre un peu de recul par rapport aux règles, à la morale et/ou aux injonctions sociales. Mais qui respectent le fait que les autres puissent fonctionner sur un modèle ou un rythme différent et ne font pas de prosélytisme ;
- Il y a enfin les prédateurs qui brandissent la bannière d’une abolition des règles ou des limites, animés non pas par un idéal de liberté, mais par un désir d’asservissement des autres (à leurs propres choix, à leur propre bien-être). Il ne s’agit pas toujours de grands gourous, mais parfois de simples manipulateurs et/ou de pervers narcissiques au petit pied, comme il en existe malheureusement pas mal. Face à de telles personnes, apprendre à faire confiance à son instinct est la meilleure façon de s’en protéger. Et si on a un seulement un doute, sur les bonnes intentions d’une personne, sur sa bienveillance et son respect, c’est déjà trop et mieux vaut s’en tenir éloigné.
Retrouver son instinct
Il existe une représentation des différentes fonctions de notre cerveau, certes schématique et conventionnelle, qui voudrait que :
- l’hémisphère cérébral gauche soit le siège de la loi, des règles des conventions, de la parole, du calcul, de la pensée abstraite (positive aussi bien qu’anxiogène, voire des peurs irrationnelles), du projet, de l’interdit, etc.
- alors que l’hémisphère cérébral droit serait celui de l’instinct, de l’intuition, de l’émotion, de la créativité, de l’aptitude à jouir de l’instant présent et de la recherche de l’hédonisme (sans conscience ni peur de la transgression le cas échéant).
Or, force est de constater que dans nos sociétés modernes, les règles, les lois, les injonctions sociales (décidées par les autres) prennent souvent le pas, dans l’inconscient collectif comme dans les consciences individuelles sur ce que l’instinct individuel ressent comme bon ou mauvais pour soi.
Ainsi, la zone de confort dans laquelle nous évoluons naturellement (sans toujours êtres conscients des jalons qui la limitent) relève davantage de notre cerveau gauche, pour ce qui concerne la référence à une norme, à des règles, à des tabous, à une injonction de performance ou de respect d’un cadre, tandis que notre cerveau droit serait certes capable de pressentir aisément d’instinct ce qui nous est favorable, au plan émotionnel ou sensoriel… mais encore faut-il que le cerveau gauche lâche prise et permette au cerveau droit d’accéder à une perception objective des sensations.
Ainsi, chez le sujet dont le cerveau droit est très (voire trop) développé par rapport au gauche, que nous appellerons HyperSinistroCéphale (HSC cf. A quoi reconnaître un sujet « HyperSinistroCéphale » ?), le poids des conventions, des interdits, des règles et des tabous est lourd, parfois étouffant. Toute spontanéité, toute émotion positive, tout plaisir sensuel, toute jouissance de l’instant, voire même toute possibilité d’exercer son libre-arbitre est ainsi parfois inhibé. La recherche d’une émotion, d’un frisson, voire d’un sentiment de mise en danger, à travers de mini-transgressions, peut alors parfois constituer un moyen de repositionner les règles et limites acceptables (et librement acceptées) et de rééquilibrer les deux hémisphères cérébraux.
Le sujet HSC a peu confiance en son instinct. Il se méfie ainsi de lui-même, même si ce manque de confiance n’engendre pas toujours une timidité apparente, certains sujet HSC arborant une attitude arrogante, voire agressive, pour masquer leur mal être et leur souffrance. Cette dernière catégorie de HSC est rarement l’objet de prise en charge thérapeutique, car, pour se soigner, encore faut-il se reconnaître en souffrance. Il en va donc des HSC, comme des sujets alcooliques et des dépressifs. Il faut souvent l’intervention d’une tierce personne (médecin traitant, famille, amis) pour convaincre un sujet HSC d’engager une démarche.
La démarche du praticien peut, par exemple, ainsi, constituer à inviter le sujet à décrire et définir l’ensemble des tabous et des règles du système auquel il adhère (ou qu’il s’est formé). Le praticien l’invitera alors à envisager, pour chacune des règles, ce qui pourrait arriver s’il la transgressait. Or ces règles peuvent se définir en deux grandes catégories:
- les règles majeures, censées protéger la vie, l’intégrité physique et morale des individus, les libertés fondamentales de chacun etc., nécessaires à la vie en société ;
- et celles – souvent moins essentielles – dont les différentes sociétés ou communautés se sont enrichies au fil des siècles (rituels sociaux, règles de politesse), sans compter les habitudes et rituels, individuels ou familiaux (rites alimentaire, préséances familiales, posture politique).
S’agissant des secondes, il suffira – le plus souvent – que le sujet fasse lui-même la découverte qu’il ne se passerait rien de vital s’il opérait telle ou telle mini transgression, pour qu’il se sente un peu libéré. Seule l’évocation de cette improbable transgression suffira parfois, sans avoir même à s’y livrer pour de bon pour que le sujet comprenne le caractère contingent de la règle.
Que se passerait-il si je marchais, tout habillé(e), dans un bassin public ? Que se passerait-il si je cédais aux avances sexuelles d’une personne du même sexe que moi ou bien si je participais à une soirée libertine ? Que m’arriverait-il si je cédais aux avances d’une personne d’un milieu ou d’un âge différent du mien ? Que se passerait-il d’irréversible si j’arrivais un jour au bureau en pyjama ? Que deviendrais-je si je fumais un joint ? Que m’arriverait-il si je tutoyais mon médecin, un gendarme ou mon patron ? Que se passerait-il se je mangeais, avec mes doigts dans un restaurant huppé, ou si je lapais mon repas ? etc.
Pour ce type de questions, bousculant (plus ou moins) ses valeurs, ses croyances, ses peurs ou ses phobies, comme pour d’éventuelles situations encore plus dérangeantes – et pour bien d’autres autres, encore, qui pourraient spontanément lui venir à l’esprit (sans la moindre influence du thérapeute) – le sujet HSC devra s’interroger sur les conséquences véritables de la transgression imaginée. Dans de nombreux cas, il mesurera que les conséquences réelles de nombre de transgressions supposées sont seulement dans sa tête, dans son imaginaire, dans sa représentation du monde. Alors que certaines autres apparaîtront nettement plus dangereuses (pour lui ou pour autrui), voire quasi-insoutenables. Ainsi, le respect de l’ordre social, le respect de la vie humaine, de l’intégrité et de la liberté d’autrui se dégageront parmi les piliers fondamentaux d’une code éthique personnel redécouvert et constitueront le socle d’une identité et d’une personnalité apaisée. Le sujet saura alors mieux vivre les contradictions (souvent douloureuses ), entre les désirs et pulsions de son être animal et les règles et obligations imposées par la vie en société. Il saura ainsi mieux dominer son conflit intérieur entre la recherche du bonheur futur (projet de vie) et la plénitude au quotidien.
Recréer son système de valeurs
Les vieux blocages et tabous ont la vie dure et le sujet HSC ne lâchera pas vite la rampe (la béquille ou la canne blanche) des règles, des rituels, des certitudes et idées prémâchées qui ont structuré sa personnalité depuis des lustres. La démarche du lâcher prise, avec un tel sujet peut donc être longue.
L’ambition de la thérapie, n’est cependant pas de faire perdre sa personnalité, ses repères, son système de valeurs et/ou sa rigueur morale, au sujet, mais au contraire de l’aider à découvrir son propre système, à partir de ce qu’il croit et veut vraiment, contre ce qu’il s’est, jusque là, imposé, par manque d’esprit critique et ou à cause de pressions morales excessives.
Certains sujets, mal à l’aise dans leurs propres contradictions et/ou face à une morale ou un ordre social perçu comme arbitraire , sont tétanisés à l’idée de transgression, mais, une partie d’eux-mêmes désirant ces transgressions, sans leur en donner le courage, ils se tournent parfois vers des actes d’allégeance ou de soumission, à l’égard d’individus peu recommandables, perçus comme hors la loi ou transgressifs, qu’ils prennent alors comme leader naturel ou maître à penser (cf. Jeux de rôles : Que faut-il entendre par domination et soumission ?). L’intérêt de la transgression encadrée, dans le cadre d’une thérapie appropriée, est précisément de prévenir ce genre de dérive.
L’ambition de la thérapie est aussi de stimuler le rééquilibrage cerveau gauche/cerveau droit, à travers le développement de l’hémisphère cérébral droit, jusque là oublié et/ou négligé, à travers des séances de créativité artistique, des jeux de rôle faisant appel à ses capacités d’expression émotionnelle, à travers par exemple, le chant, la danse, les massages (cf. Le « lâcher prise », toucher et massage) etc.
Cette recherche de redécouverte des modes de fonctionnement instinctifs (instinctothérapie) pourra aussi passer par une réflexion sur les attitudes, réactions, sensations du nourrisson (non-encore exposé aux règles et tabous) ou de l’animal, voire par une mise en œuvre d’un mime de ces postures et actions infantiles ou animales instinctives d’une absolue innocence, dans le cadre d’une régression thérapeutique.
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Philippe Lamy
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[1] L’animal ne connait en effet que l’instinct qui le pousse à jouir de l’instant présent, forniquer et tuer (pour les prédateurs), sans autre loi que celle du plus fort et de la nécessité, sans aucune référence au bien ni au mal. Si l’on prenait pour référence les règles érigées par (et pour) les humains, on considérerait qu’il vit et agit dans une permanente transgression. Le monde animal est pourtant celui de l’innocence absolue et de l’harmonie avec l’environnement (n’était l’agression et le chaos que l’homme impose à la nature).
[2] Notre cerveau est infiniment complexe et toutes ses zones sont interactives. Il existe cependant une représentation (en vogue au cours de la seconde moitié du XXème siècle) – certes schématique et symbolique – qui isole deux grandes zones “spécialisées”, aux fonctions différentes et complémentaires :
- L’hémisphère cérébral gauche (appelé aussi cerveau gauche), qui est notamment celui de la réflexion, de la raison, du langage, de l’éducation, de l’écriture, des règles sociales, de la culture, du calcul, des interdits, des tabous… Il est aussi celui du projet (et des projections négatives ou positives).
- L’hémisphère cérébral droit (appelé aussi cerveau droit), qui est surtout celui de notre nature animale, celui de l’émotion, de l’intuition, de toucher, de la sensualité, de la créativité, de la spontanéité, de l’improvisation, de la prise de risque, du jeu… Il est aussi celui du culte de l’immédiateté (carpe diem), du présent.